Méditation au plancton
Écoutez le silence et portez votre attention sur les voix de la mer. Au loin, vous entendez le bruit des bulles qui remontent depuis les profondeurs, laissez-les prendre place en vous. Concentrez-vous sur vos cils, longs filaments au-devant de vous, regardez-les bouger avec le courant, vous êtes dans l’eau, détaché de la pesanteur, vous flottez. Au-dessus de vous, le soleil jette ses rayons scintillants, il vous réchauffe, plus rien ne vous écrase. Laissez-vous aller, faites le vide et débarrassez-vous des nuisances extérieures.
A présent, votre corps s’allège et s’amenuise, vous ne pesez plus que le poids d’une minuscule goutte d’eau dans cet océan prodigieux. Vous n’avez jamais été aussi léger. Vous n’êtes plus qu’un minuscule corps gélatineux. Débarrassé de votre enveloppe, le silence des profondeurs vous absorbe, vous flottez dans un océan de bien-être. Vous êtes libre d’errer au hasard. Profitez de ce relâchement.
Maintenant, regardez autour de vous.
Vous êtes une foule dans ce monde liquide bercé de reflets. Chacun se déplace en suspension, abandonnés aux courants. Vos cils bougent légèrement et diffusent un léger filet de lumière. Tout est extrêmement lent, les bulles continuent de vous parvenir depuis les profondeurs, loin, très loin. Vous ne ressentez aucune inquiétude. Autour de vous, les organismes vivants ondoient comme un seul corps. Admirez la beauté de leur parade indolente. Cténophores, clytia, siphonophores, ils s’élèvent, passent au-dessus de vous en petites colonnes, ou dans de longs cortèges. Le paysage s’anime et se colore d’hallucinations lilliputiennes. Prismes lumineux, vagues iridescentes, une infinité de polypes et tentacules scintillent et vous éclairent, elles sont la lumière. Regardez, la perfection de cette faune qui s’agite et vie dans une corrélation déroutante. Elle ne se distingue pas de vous. Vous êtes un monde, un peuple peut-être, vous êtes le cœur de l’océan. Vous vous efforcez de recouvrir toute la surface de ce monde immergé, votre corps embrasse les abimes, vous êtes dans votre espace, votre sanctuaire. Laissez-vous bercer par le courant, laissez couler cette vague purifiante, acceptez-là comme votre guide, elle traverse toute la cellule de votre corps. Vous êtes l’oxygène de cet océan, berceau de la vie. Vous êtes plancton.
A présent, acceptez l’errance, accueillez la dérive.
Concentrez-vous sur les bulles qui remontent à la surface. Elles vous arrivent du centre de la mer. Vous entendez peut-être un souffle, au loin, des notes qui traversent les eaux et forment comme un chant, ne vous laissez pas distraire. Reprenez contact avec vos cils, regardez-les évoluer dans le courant. Regardez autour de vous. Tout est toujours incroyablement lent et feutré. Désormais, vous êtes si nombreux que votre corps gélatineux semble se fondre dans celui de votre voisin. Vous formez une nappe sous-marine aux reflets moutarde et légèrement vert. Vous êtes le corps de cette prairie immergée qui se déplace, par légers à-coups. Maintenant, le chant résonne de plus en plus fort autour de vous, jusqu’à faire trembler toute la cellule de votre corps, vous êtes suspendu à votre colonie, offert à la dérive. Le soleil s’éclipse brutalement et vous êtes désormais plongé dans l’obscurité la plus complète. Vous perdez tous vos repères et la flottaison devient impossible vous êtes rapidement entraîné vers le bas, aspiré comme par un fort courant contraire, vous n’avez pas le temps de saisir l’ampleur de cette déprise que, déjà vous êtes brusquement projeté vers le haut. Vous êtes littéralement propulsé dans un tourbillon assourdissant. Vous ne pouvez plus apercevoir vos cils, vous perdez la direction de la surface, l’infinité de vos corps gélatineux s’agrège violemment. Les prismes lumineux s’éteignent dans la violence du bouillon. Vous êtes dans une nuit liquide et tonitruante qui vient achever votre expédition contre une paroi sans âge, multitude de lames élastiques et recouverte de corne rêche. Vous êtes plancton flanqué aux fanons, acceptez la dérive, puis la digestion.