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La comédie des masques.

Lu sur internet : les agriculteurs se mobilisent pour faire don de leur masque de protection au personnel soignant en manque de matériel. Évidemment l’idée est bonne, et on ne peut que la saluer, parce que la situation est celle d’une crise et que, dans ces conditions, on a bien du mal à jeter la pierre sur la main qui se tend.

Mais tout de même, passée l’étape des remerciements, il faut bien avouer qu’une question demeure. Et l’on tourne autour avec le plus grand soin. On passe sous silence, on élude en précisant que l’agriculteur avait gardé un stock qui lui était autrefois nécessaire.

Dommage. Il aurait bien fallu se saisir de l’occasion et formuler ce qu’une majeure partie de la profession se garde de nous dire par temps calme, quand il n’y a pas d’encombre.

On aurait dû lui poser la question et il aurait été contraint de dire, dire ce qui est soigneusement gardé pour les coulisses. C’était une occasion rêvée, comme on a rarement, comme on n’en imagine pas. Il aurait fallu demander simplement : mais pourquoi tous ces masques ? Pour quels besoins ?

Il aurait été obligé de répondre. Obligé de dire que les pesticides, insecticides et autres intrants chimiques qu’il déverse régulièrement sur ses terrains, notre terre, ne sont pas respirables. Qu’il doit s’en méfier comme d’une peste qui ronge la vie à l’intérieur de son corps et des sols. La question, minuscule, l’aurait poussé face au mur. Il aurait été obligé de voir que la « propreté » de son champ est conquise par la force, dans une guerre chimique qui détruit tout. Il aurait vu la biodiversité amputée de ses forces vives à coups de matraques chimiques, il aurait vu le mensonge à l‘intérieur de son masque. Lui qui croyait à sa cause comme à une bonne affaire, il aurait vu la tragédie qu’il avait contribué à faire éclore.

Peut-être qu’il n’aurait plus jamais parlé. Il aurait supplié qu’on n’en garde pas traces. Que rien de tout cela ne soit écrit. Et il n’aurait plus rien dit. Il aurait mis son stock dans le coffre de sa voiture et il serait parti; décidé à donner silencieusement ses masques à l’hôpital, sans rejouer une farce auprès des journalistes.