Du Mont-Blanc, je n’ai jamais fait l’ascension, pas même le tour. Le Mont-Blanc c’est d’abord une montagne de chiffre, un nombre gigantesque appris à l’école bien docilement : 4 809 mètres, le plus haut sommet d’Europe. Difficile à imaginer quand on a grandi à quelques dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer. Le Mont-Blanc je n’en ai pas d’image, cela ne m’évoque rien et j’ai beau essayer, je n’arrive pas à imaginer une masse longue de quatre kilomètres qui se déplie vers le ciel. Sur Earthcam, plateforme de caméras live qui me sert régulièrement de portail touristique, la vallée du plus haut sommet d’Europe tient dans un plan panoramique à 180 degrés, pas vraiment une sensation de hauteur mais plutôt un étalement. La caméra, toujours en mouvement, balaye l’espace de gauche à droite puis de droite à gauche, jour et nuit. La montagne n’a pas poussé seule au milieu de la plaine mais a formé une vallée. A cette époque de l’année, la neige à l’air stable, je peux deviner le tracé des pistes de ski sur les hauteurs. Il fait beau et je vois les sommets qui se détachent du ciel. La sensation de hauteur est écrasée ; impossible, à cette distance, de savoir lequel d’entre eux est le Mont-Blanc. Un peu plus bas, la colonie de chalets identiques ronge l’assise des montagnes. Je ne suis pas certaine d’apercevoir une ville, plutôt un mirage saisonnier qui refermera ses volets à la fonte des premières neiges. En bas du cadre, quelques lettres blanches informent du nom du bar où la caméra est installée : L’Edelweiss (terrasse) – 1807 mètres. La vallée du Mont-Blanc n’a donc rien d’un espace sauvage et revêche, on y boit des cocktails en terrasse d’altitude. Je ne sais pas quoi faire de ce mouvement panoramique, de sa lenteur, je voudrais déborder, sortir du cadre ou le pousser plus loin, l’étirer jusqu’à faire un tour complet, avoir des yeux dans le dos et regarder s’essouffler les canons à neige. La montagne, engoncée dans son manteau blanc de loisirs, ne tient pas dans un grand angle même panoramique.