Ça lui était revenu dans une après-midi de juillet. Elle était sortie sur la terrasse, s’était allongée seule sous la treille, les autres dormaient encore dans la maison, et elle avait regardé les ombres du feuillage former des tâches sur les pierres. Et ça lui était revenu. La naissance des veaux autrefois. La procédure. Trouver un nom commençant par la lettre officielle de l’année, percer l’oreille pour installer la grosse boucle en caoutchouc orange, délivrer un numéro, puis décrire les caractéristiques physiques de l’animal. Sur le papier officiel d’identification (quatre feuillets : blanc, rose, vert pâle et bleu d’encre carbone) inscrire le jour de naissance de l’animal, son nom, celui de sa mère et de son père ainsi que le numéro de la boucle fraichement poinçonnée à son oreille; ensuite, au stylo bille, en appuyant bien fort et sans faire d’erreur, compléter les dessins : deux silhouettes (droite et gauche) de l’animal dans son entier puis trois gros plans de la tête: les deux profils et une vue de face. Dans la paille, faire le tour de l’animal et sur la feuille reporter les aplats, les tâches à l’intérieur du contour noir, veiller à ne pas dépasser. Elle se souvient qu’elle aidait sa mère, qu’elle aimait le dessin et les veaux, qu’elle adorait se perdre dans leurs marques inédites. Elle n’en revenait pas de cette multitude et cherchait secrètement une ressemblance, même une copie. Longtemps, elle avait rêvé d’une copie, d’un veau qui aurait hérité du pelage de sa mère, la reproduction poussée à son comble, puis elle avait oublié.
Ça lui était revenu, sans prévenir, dans les ombres du feuillage sur la pierre tannée de sa terrasse de vacances.