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Les chatons

À J.C. Oates

Les chatons, c’est l’affaire de ton père. C’était ça depuis toujours, l’histoire se rejouait plusieurs fois l’an et la mère n’en démordait pas. La chatte de la maison devenait grosse, se trainait de plus en plus difficilement jusqu’à libérer quatre adorables boules de poils dans un des placards de l’arrière-cuisine, le plus souvent au milieu des torchons. Il nous fallait quelques jours pour découvrir la cache puis commençait l’interminable jeu des négociations. Dis, on peut en garder un, juste celui-là, avec ses petits yeux plissés et ses quelques tâches rousses ? En sauver un, relevait de la prouesse. Ma chérie, ces bestioles sont bien trop nombreuses, t’attends pas à un miracle. Mais vois-ça avec ton père, j’te dis, c’est son affaire. Et, inlassablement, je voyais ça, cachée derrière l’angle du muret : le père, de toute sa violence, fracassant les boules de poiles contre le mur. Mettre fin aux tractations.

Les chatons, c’est l’affaire de ton père. La phrase avait éclaté par habitude et laissée derrière elle un long silence. Le père, enterré profond en terre, ne voyait plus l’ombre d’un mur. Et cette fois, se déployait l’illusion d’un boulevard pour le négoce. Mais la mère n’avait pas traîné pour se reprendre. Débarrasse-t’en, je n’ai pas le cœur à ça. La brutalité paysanne n’avait pas fondu dans l’orage, ni sous l’asphalte de la ville.

Contrainte de développer ma méthode loin des murs de la ferme, c’était devenue mon affaire.