Corps chrétien
ou les œufs à la sauce aurore
Je me suis levée ce matin avec une idée bien précise : manger des œufs sauce aurore avant la fin de la journée. Je ne m’explique pas d’où vient cette envie de manger des œufs précisément selon cette recette. Je me lève avec ça, comme une obsession qui me dépasse. Je ne me souviens pas quand j’en ai mangé pour la dernière fois. Je me souviens seulement du plat, profond, dans lequel il fallait aller chercher à la louche les œufs durs, immergés dans la sauce rosée. La dernière fois, je crois que j’étais enfant.
Je n’ai pas la recette donc j’appelle ma mère pour l’obtenir. Écoute il m’arrive un truc bizarre, je me suis levée avec une envie incroyable d’œufs à la sauce aurore, je ne sais pas d’où ça sort. Éclat de rire et une réponse. Eh bien tu es complètement à jour. C’est le plat qu’on préparait pour Pâques autrefois. La rupture du Carême c’est toujours le moment où les poules pondent le plus donc on faisait des œufs sauce aurore pour tout le monde.
Et dire que nous sommes samedi 11 avril 2020 donc, pour être plus précise, selon un certain calendrier, nous sommes le samedi qui suit le vendredi saint et précède le dimanche de Pâques. Aujourd’hui, précisément, s’achève le Carême.
Alors voilà, je voudrais bien prendre cette histoire comme un hasard mais je ne peux pas.
Je n’ai pourtant aucun appétit pour la chose religieuse et n’entretient aucune des traditions chrétiennes autrefois célébrées mais, voilà, ce matin je dois bien admettre une évidence : le calendrier est intégré jusque dans les tripes. Quoique j’en dise et contre ma volonté, cette envie matinale à l’approche de Pâques révèle quelques stigmates : j’ai le corps chrétien sans possibilité de négocier.